Quelques notes de présentation du plan d’eau, de la Roche Jaune en Plouguiel, par Xavier Cottin
Le Plan d’eau de la Roche Jaune
Le plan d’eau de la Roche Jaune est une partie de l’estuaire de Tréguier. Cet estuaire est formé, en amont par la confluence de deux rivières : le Jaudy et le Guindy. Ces deux cours d’eau se rencontrent au pied de la cathédrale de Tréguier, distante de 5 kilomètres. Mais l’estuaire est aussi remonté deux fois par jour par la mer. C’est ce que l’on nomme (en Gaëlique) un aber ou ria (en Portugais)
Les origines géologiques du lieu
Ce site exceptionnel tient de ses origines géologiques.
Il y a 110 000 années débutait la quatrième période glaciaire.
La glace couvrit notamment le Nord de l’Europe. Cela se traduisit par un net recul de la mer. Le trait de côte se trouva à 140 mètres au-dessous du niveau actuel. La Manche fut réduite à la dimension d’un fleuve.
Durant cette longue époque, la rivière de Tréguier formée par ses deux principaux affluents : Le Jaudy et le Guindy creusa dans le vieux massif granitique breton une faille aussi profonde que tortueuse.
Il y a 10.000 ans, du fait d’un réchauffement climatique, la mer retrouva (presque !) son niveau antérieur.
De ce fait elle immergea l’ancienne vallée en créant cet estuaire que le flot, au rythme des marées, monte et descend deux fois par jour.
Le marnage (différence de hauteur entre la pleine mer et le bas de l’eau) est l’un des plus important du monde. Il peut atteindre jusqu’à 1O mètres. (12 mètres à Roscoff)
Il s’agit ici d’un des plus beaux Abers de Bretagne, par ses dimensions harmonieuses d’une part, et aussi par son authenticité due à une scrupuleuse conservation.
Un lieu vivant fait de rencontres incessantes
- Cet espace exceptionnel est un lieu de rencontre : Rencontres de deux rivières le Jaudy et le Guindy dont on ne sait laquelle l’emporte sur l’autre. Elles se croisent au pied de la cathédrale de Tréguier pour former paradoxalement la rivière de Tréguier.
- Rencontre entre l’eau douce de ces deux rivières et de l’eau salée. Cet incessant brassage d’une eau tantôt adoucie par d’abondantes pluies ou à la salinité augmentée par de fortes marées permettra le développement de l’huîtrière.
- Rencontre de la terre et de la mer. Tout dans ce paysage marque cette rencontre où les algues pendent aux branches basses des arbres, où l’herbe pousse sur les galets.
- Rencontre dans l’alternance de deux mouvements quotidiens : Le flux et le reflux. C’est l’exceptionnel spectacle de cette rivière qui coule tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Alternance combinée d’un autre phénomène, celui de la variance continue des marées entre les vives eaux et les mortes eaux.
Il s’agit ici d’un lieu mouvant intermédiaire en perpétuel mouvement où les décors se transforment suivant les saisons, les marées, les vents, les pluies…
Le spectacle n’est jamais le même quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit
Un lieu de rencontres humaines chargé d’histoire
- Arrivées successives des celtes venus de Grande-Bretagne, notamment au cours des Vème et VIème siècles. Les chapelles qui bordent l’estuaire : Saint Votrom à Trédarzec, Saint Goueno à la Roche jaune, Saint Gonéry à Plougrescant témoignent de ces arrivées.
- Au XIIèmesiècle : Le trafic maritime sur l’Estuaire se développe pour atteindre Tréguier, ville prospère, siège de l’Evêque.
Les navires à voile de toutes sortes empruntent en louvoyant l’Estuaire. En 1310, le Roi de France, Charles VI fit construire une flotte de 72 navires de guerre à Tréguier
- Au XIXème : C’est âge d’or du cabotage dans la rivière :
Les échanges commerciaux avec Tréguier par voie maritime sont à leur apogée. S’il y avait peu d’armement pour la grande pêche, le cabotage était intensif entre la Grande Bretagne et tout particulièrement avec le pays de Galles : Exportation de bois, de poteaux de mines, de légumes (les échalotes des Johny). On partait également dans le Golfe de Gascogne chercher le sel.
L’âge d’or de la marine à voile
Tout au long du XIXème siècle et jusqu’à l’entre-deux guerres, le trafic sera important dans l’estuaire. Les voiliers de toute sorte, cotres, goélettes, dundees, canots, barques…y évoluaient. Dans les années 1840, il y avait plus de 400 bateaux fréquentant la rivière.
La remontée ou la descente de l’Estuaire étaient un passage délicat et dangereux tant la vallée est tortueuse, escarpée ou la marée, les courants et les vents mettaient les voiliers à dure épreuve.
Les échanges se faisaient avec la grande Bretagne (charbon de Cardiff) mais aussi avec les autres ports français.
Puis il existait aussi un autre type de transport, plus local, celui des algues (le varech) et le sable (le maërl) pour amender les champs.
Par contre et paradoxalement, la pêche côtière était peu pratiquée. Le poisson était difficile à vendre du fait des difficultés de circulation. De plus, il était considéré comme une nourriture de pénitence. Le « plateau de fruits de mer » ne sera apprécié qu’après 1945 !
Le balisage de l’estuaire était assuré par des perches (balises latérales)
L’emblématique banc rocheux du Gorec
Situé au centre du plan d’eau de la Roche Jaune, en plein milieu du chenal, ce haut-fond est révélateur à lui seul de tout le danger de la navigation dans l’Estuaire et les difficultés qu’éprouvèrent les navires à louvoyer. Les extraits du pilote THOMASSIN de 1875 détaille avec une précision admirable l’ensemble des ces écueils.
Ce banc comporte une roche terrible « la vieille » qui ne découvre qu’aux grandes marées. Nombreux bateaux s’y sont échoués.
Ce fut le cas d’un bateau Allemand qui, en 1943, s’y empala. Quelques vieux marins du port lui portèrent assistance…Ce qui leur valut, à la libération, un procès de collaboration !
La Roche Jaune avant la seconde guerre mondiale
La Roche jaune (qui tient son nom de la couleur d’une roche de l’Estuaire jaunie par les algues et les fientes des goélands) était avant 1935 un lieu désert et très peu accessible. La seule voie d’accès était le chemin de la Casse–Pattes. Ce chemin existe toujours, il fut jusqu’à l’entre-deux guerres le seul accès au port de la Roche Jaune.
Sur ce qu’on appelle le Port et que les anciens désignaient sous le nom de « grève » se tenait un corps de garde avec un bâtiment central et deux logements de douaniers. L’Estuaire était très peu peuplé et les accès à la grève restaient rares et sans réel intérêt.
Sur le plan d’eau de la Roche Jaune, les seules constructions en bordure de rivière étaient celles de douaniers, placées à des endroits précis pour mieux surveiller la rivière. La contrebande était alors le « sport local » le plus pratiqué.
Il existait également « une canonnière » à la sortie de la baie de l’enfer destinée à protéger Tréguier des invasions.
Si les rives étaient quasiment inhabitées, la rivière était sillonnée par les passages ininterrompus de navires de toutes sortes depuis les goémoniers jusqu’aux goélettes.
En dehors de circonstances vraiment exceptionnelles (vent et courant favorables et puissants) la remontée ou la descente de l’estuaire se faisait en deux temps. Du large jusqu’à la Roche Jaune, puis de La Roche Jaune jusqu’à Tréguier en entrant, et l’inverse en sortant.
C’est devant le port de la Roche Jaune que les bateaux relâchaient, au lieu-dit « Palamos »
Palamos est cet endroit de rêve pour mouiller en toute sécurité un navire. A l’abri des vents et des courants, les bateaux restaient à flot en toute sécurité. Le fond, meuble et plat, offrait aux ancres une bonne tenue.
Les moulins
Si les berges sont restées très longtemps désertées, faute d’intérêt, les ruisseaux qui convergeaient vers l’Estuaire étaient retenus par de multiples moulins. On en dénombrait pas moins de 154 sur les bassins versants du Jaudy, du Guindy et de l’Estuaire de Tréguier
Il existait des moulins à eau mais aussi, à Kerbors, un moulin à vent et au-delà de Tréguier, au lieu dit Traou Meur en Trédarzec un moulin à marée.
Le bac de la Roche Jaune
Au XIXème siècle, il y avait deux bateaux qui assuraient la traversée de l’estuaire entre le port de la Roche Jaune et la rive en face en Kerbors. Le matériel se composait : D’un bac de 8,68 m de long pour 3,51 de large pouvant contenir 22 personnes et d’un bateau de 4.50 m sur 1,80m. La clientèle était nombreuse les jours de foire, pour le pardon de Tréguier (le 19 mai) et les fêtes locales. Ce bac fut l’un des derniers et fonctionna en début du XXème siècle. Lors de l’occupation Allemande (1939-1945) il fut remis en activité. Loïc HAMON fut l’un des derniers passeurs.